dimanche 26 avril 2020

     Pour continuer sur le thème du gouffre Berger, Hubert exhume aujourd'hui de ses carnets le récit de la première prise de contact du club avec cette cavité. 

     C'était à l'occasion d'un long secours en cette année de contestation...


1965 : Max Gély, Jacques Felenc, Roland Oddes et "Jeff" (Michel Etienne )


Sauvetage au Gouffre Berger  Août 1968



     Début août nous étions une partie des spéléos d’Aubenas en Bretagne pour passer des vacances et découvrir une région. Nous quittons la Bretagne et descendons à Biarritz en longeant la côte avec le voilier de l'oncle de Daniel Duchamp. Le 16 août nous partons de Biarritz pour Aubenas avec l’Ami 6 de la famille Lauriol et ma petite Fiat 500. Nous partons de Biarritz en fin de matinée et nous arrivons à Aubenas à 1h du matin le 17 août.
     Dans l’après-midi nous avons un appel de la protection civile pour nous annoncer qu’il y a un grave accident au gouffre Berger dans le Vercors. Le soir à 22h nous partons pour le gouffre avec notre Frégate et nous arrivons à 4h du matin au gouffre Berger. Petit repas puis nous nous préparons. A 7h du matin notre équipe ardéchoise va descendre. L’équipe est formée de "Popeye" ( Jean-Louis Bayle ), Roland Oddes, Max Gély, "Alouze" ( Alain Lamotte ) , Daniel Duchamp et Hubert Oddes.
     Nous sommes assez étonnés d’être la seconde équipe à arriver au gouffre Berger pour participer aux secours, bien que nous soyons à 180 km de là et c’est pour cette raison que nous descendons dès notre arrivée. Ce sera notre première découverte du gouffre Berger, mais à cette époque nous étions entrain d’explorer le gouffre de la Fromagère qui est situé à 30 minutes de l’entrée du Berger.
     La descente s’effectue bien ainsi que les passages en canots du lac Cadoux. Arrivée à -500 nous nous restaurons un peu puis allons à -650 vers le blessé. C’est un anglais il s’appelle Yves Peters, il a fait une chute d’une dizaine de mètres et souffre de multiples fractures. Un infirmier est déjà présent à côté de lui pour lui injecter de la morphine afin qu’il puisse supporter la douleur lors de la remontée.
     Nous sommes la première équipe à arriver près du blessé, celui-ci est préparé pour être mis sur la civière puis la remontée commence. Lente, avec de nombreuses tyroliennes, c’est-à-dire que nous tendons un câble dans la grande galerie sur une distance assez grande et nous fixons la civière avec des poulies sur ce câble et nous la tirons.
A un moment le câble lâche et le brancard tombe de deux mètres sur la tête d’"Alouze" et sur le dos d’un spéléo d’Autrans. On a peur que le blessé en ait souffert. "Alouze" est un peu sonné, il est assis par terre. En reprenant ses esprits il se précipite vers la civière qu’il retourne et le blessé lui répond « ça va, je n’ai rien ».
     Heureusement il n’a rien. La remontée est assez difficile dans le Grand Canyon à travers les éboulis et nous avons vraiment sommeil. Nous remonterons le blessé de -650 à – 500. Là d’autres équipes arrivent pour prendre le relais et à 2h du matin nous attaquons notre remontée. En 1h nous sommes à -250 au bas du puits Aldo, là les difficultés dues à la fatigue commencent. Les crampes aux bras nous obligent à de fréquents arrêts sur nos petites échelles souples en acier et finalement 5h après nous sortons à 7h du matin.
     Lors de la remontée dans les puits, Roland, qui est juste devant "Alouze", l’aide et le réveille quand il s’endort à chaque arrêt sur les échelles. Il m’arrive de m’endormir aussi au moment où l’on mousquetonne sur les barreaux pour se reposer et la sortie nous paraîtra longue. Nous restons voir s'ils ont besoin de nous à l’entrée du gouffre, mais des spéléos affluent de toute la région, les médias sont là et devant ce « barnum » nous repartons pour l’Ardèche.
     Le blessé sera sorti en 5 jours, il sera maintenu sous morphine à cause de ses multiples fractures, mais il s’en sortira bien, sans séquelles.
      Ce fut une très bonne expérience pour nous quoique très dure vu le manque de sommeil, pratiquement 3 jours pour certains.

     A la Molière, un gars inconnu nous remet 50 Francs, ce fut un beau geste...


Première descente des gorges. "Jeff", Roland Oddes. ( On pouvait dormir, faire du feu, c'était la liberté totale ! Heureux jours... Notre première descente date du 16 juillet 1964, nous étions seuls avec des chambres à air pour porter la bouffe, pas de canoë, seul des campings naturistes 2 ou 3 il me semble... ) 


Dans les gorges. Alain Chauvet ( non spéléo d'Aubenas ), Pierre Debanne, Marc Lauriol ( frère de "Bédigue" mais ne faisait pas de spéléo ), Jacques Felenc, Hubert Oddes et "Jeff" ( Michel Etienne).

Printemps 1974. Pompage du premier siphon de la grotte de Chabanne. A gauche Jeannot Gilly, tout à droite : Roland Oddes et Gilbert Platier.



                                                                                      Hubert Oddes

mardi 21 avril 2020

   Notre camp d'été sur le Vercors sera-t-il annulé et notre visite prévue au gouffre Berger remise à une date ultérieure ?

      Pour nous consoler et alimenter le blog au point mort en ce moment, Hubert Oddes a fouillé dans ses archives et nous propose la lecture des comptes rendus relatant les aventures épiques des spéléos ardéchois à l'assaut de cette mythique cavité il y a presque 50 ans...

      Pour mémoire rappelons que les explos se faisaient " à l'échelle " ( 22 kits d'équipement... ) et à l'acétylène.

      Grosse motivation et sacrée niaque, les anciens !



Aven de Vigne Close.  Hubert Oddes, Bernard Lauriol  "Bédigue" et Roland Oddes, les trois fondateurs du club  en 1964.


Gouffre Berger 1971


Expéditions Berger CDS 07 1971

Souvenirs

WEEK END DU 12 JUIN 1971

     Le 12 juin, à 7h du matin, tout le monde est prêt. Jeff ( Michel Etienne ) est là avec sa R16 et prétend que tout le monde et que tout le matériel rentrera dans sa voiture ! Il y a Jeff, Jean-Paul Soulier ( Calistou ), Christian Bayle, Roland et Hubert Oddes et tous les sacs ! Tout le long de la route, la parole va bon train, nous sommes sur notre plus grande expédition, et puis les mots « gouffre Berger » font rêver, ne détient-il pas le record du monde avec ses -1150 m de profondeur !
     Nous faisons la halte traditionnelle à Autrans, où nous achetons un peu de nourriture pour 2 jours, et quelques gâteaux à la pâtisserie. Le temps, qui au départ était gris, semble s’améliorer un peu, quelques éclaircies apparaissent, il fera beau, nous sommes d’autant plus heureux qu’il a plu toute la semaine. Nous arrivons sur le plateau de La Molière à 11h où nous laissons notre voiture. Nous chargeons nos deux sacs chacun, et prenons le sentier qui conduit au gouffre. Il nous faut une heure de marche. A l’approche du camp de base, nous entendons les voix des groupes spéléos déjà présents.
     En débouchant sur le camp, nous voyons, qu’il y a beaucoup de monde, et déjà beaucoup de spéléos, prêts, revêtus de leur belle combinaison imperméable jaune, sanglés dans leur baudrier, bardés de mousquetons, freins, descendeurs, ils ont vraiment fière allure !
     Nous posons nos sacs avec plaisir et faisons le tour pour serrer les mains. Il y a les spéléos de la Voulte, de Grenoble, des Vans, de Joyeuse, de Privas, du Cheylard, d'Aubenas, et notre ami de St Marcel Michel Pages. Les tentes sont déjà montées et une grande animation règne car la première équipe va descendre. Les dernières recommandations faites, cette équipe sous la direction de Gégène de la Voulte va descendre équiper les puits jusqu’à la cote -250. Elle est forte de 6 spéléos, chacun portant un sac. Une seconde équipe de deux spéléos suit pour essayer de poser une ligne téléphonique. Nous les accompagnons à l’entrée du gouffre, à 1/4 d’heure de marche du camp de base.
     Nous les regardons disparaitre un à un, avalés par le gouffre, et nous pensons que dans quelques heures ce sera notre tour. Nous retournons au camp de base, rangeons un peu nos affaires, cassons la graine. Nous avons acheté beaucoup de lait concentré, c’est très nourrissant. Nous préparons nos affaires, car vers 6 h de l’après-midi nous devons descendre.
     Le temps passe, nous nous équipons, la dernière équipe composée de Gilbert Platier, Roland, Hubert, Jean-Louis Bayle ( Popeye ) , Marc et Traci ( Michel Chabaud ) prend la direction du gouffre, nous avons pour objectif d’équiper jusqu’à la cote -640, début de la progression dans la rivière souterraine. Chacun est donc chargé d’un lourd sac ou de deux plus légers. Au bord du gouffre, Gilbert descend en premier, suivi par Roland. Hubert s’équipe sur la plateforme en haut du 1erpuits de 30 mètres quand nous apprenons, en haut, qu’un gars vient de faire une chute de 6 mètres. Mais ce n’est pas trop grave, néanmoins chacun pense en son for intérieur : "ça commence bien".
     Hubert descend pour aider, les autres restent en haut du puits Ruiz pour hisser l’accidenté. En surface Jeff et Jean-Paul partent pour la Molière en courant chercher la civière et en une demi-heure font l’aller-retour ( normalement 1h et demi en marchant…). Pendant ce temps on aide Jean-François, le blessé, à gravir les quelques mètres qui le sépare du puit Ruiz où il sera hissé par les copains en haut.
Il sera amené sur la civière à la Molière, et conduit à l’hôpital pour une surveillance. Le diagnostic révèlera un hématome à la rate, l’hémorragie interne n’était pas loin. Comme quoi en cas de chute, même sans dégâts apparents, direction l’hosto.
L’accident s’est produit dans un petit puits de 6 mètres situé juste après le premier puits d’entrée, le puits Ruiz, à ce puits de 6 mètres fait suite immédiatement un autre de 18 mètres. Jean-François, fatigué, a lâché l’échelle, il n’était pas assuré et est tombé au départ du P18, Gégène s’est précipité pour l’empêcher de rouler plus bas. Il a quand même eu chaud !
     Après cet accident, notre équipe reprend sa progression, nous nous suivons, légèrement espacés, les puits sont descendus en rappel, après le puits Gontard nous commençons à être arrosés, le dernier puits l’Aldo de 45 m avant la rivière est descendu, suivit d'une galerie étroite et nous débouchons sur une immense galerie, remplie par le bruit de la rivière souterraine, tout est noir, nous voyons la lampe d’un camarade percer de temps en temps les ténèbres, c’est fantastique. Dès les premiers mètres le niveau d’eau étant très haut, il nous faut équiper un passage en main courante pour éviter de nous mouiller (eau à 4°c).
     Ensuite c’est de la marche sur des blocs, dans la rivière, puis on arrive au lac Cadoux, les eaux étant très fortes celui-ci dépasse les 25 mètres de long, du plafond arrive des cascatelles qui s’y jettent à grand bruit, dans cette immense galerie c’est impressionnant.
Nous sortons les canots ou plutôt ce qu’il en reste, nous avons un canot pointu genre réclame station-service à moitié crevé, et nous mettons par-dessus un second canot mono place qui ne vaut guère mieux, autant dire que le passage des 25 mètres tient du prodige de l’équilibre et chacun se laisse tirer en retenant son souffle, heureusement personne ne videra.
     Nous reprenons la progression dans la grande galerie, nous voici à la Cascade du Petit Général, qui se jette en mugissant du haut de ses 10 mètres. Le passage est équipé de côté mais à l’arrivée les embruns ne nous épargnent pas. La galerie reprend presque horizontale jusqu’au passage de la tyrolienne, qui se fait au-dessus d’un gour profond, sur une main courante en fil de fer. Après on attaque la descente dans la grande galerie qui mène dans la salle des 13 et au camp à -500.
     C’est une descente sur d’énormes blocs, dans une galerie toute noire tant elle est vaste, le faisceau de nos lampes se perd dans l’obscurité, et notre colonne chemine telle une chenille lumineuse à travers ce gigantesque chaos. Nous arrivons près du camp à – 500, les tas d’ordures laissés par les expé étrangères, surtout les anglais, nous indiquent la cote. Nous nous arrêtons pour nous restaurer un peu, chacun sort soit un tube de lait concentré, des raisins secs, des pruneaux, des morceaux de sucre, un jus d’orange, des bananes sèches, un tas de bouffe hétéroclite que nous nous empressons d’engloutir. Nous reprenons nos sacs et poursuivons notre descente, nous continuons à descendre, nous laissons les blocs pour arriver sur de magnifiques gours, pleins d’eau, l’eau ruisselle même par-dessus, c’est du plus bel effet. Au bas de ces gours se trouve le puits du Balcon de 15 mètres, il est rapidement équipé mais les cordes passent du mauvais côté, aussi chacun a droit lors de  sa descente à une douche copieuse, qui ne fait que ruisseler en partie sur la combi imperméable.
     Nous approchons de notre but, nous prenons la galerie fossile, très concrétionnée et après 2 escalades nous arrivons au sommet du petit puits menant à l’Embarcadère, nous sommes à la cote -620. Nous laissons nos sacs qui serviront la semaine prochaine à poursuivre la descente et entamons la remontée.
     En surface il fait nuit depuis longtemps, nous pensons aux amis enfouis dans leur duvet bien au chaud et pensons à ce qu’il nous reste encore à monter ! A la cote -500 nouvelle halte, et nous commençons à 4h30 du matin la remontée, lentement, en mesurant l’effort. Le sommeil se fait sentir, et à chaque halte nous voyons notre ami Marc s’endormir. Enfin nous revoici au lac Cadoux,  le passage se fera bien, les puits ne sont plus guère loin. A 5h30 nous sommes au bas du puits Aldo, le plus dur avec ses 45 mètres de verticale et la cascade qui l’arrose sur 30 mètres.
     Il sera dans l’ensemble bien remonté avec, pour la plupart, une halte à la vire 30 mètres au-dessus de nous. Puis ce sont les autres puits, toujours de l’échelle, des méandres, l’avant dernier puits et le dernier puits Ruiz de 30 mètres de verticale , plus ou moins bien remonté selon la fatigue, enfin nous voici au soleil, il est 9h du matin, nous apprécions sur le chemin du camp, la nature et le ciel bleu, et oublions le milieu hostile mais tellement fascinant que nous venons de quitter.
     Nous apprenons que la veille au soir nos amis d’Aubenas sont arrivés, Bédigue ( Bernard Lauriol ), Max Gély, Jackie et qu’ils sont prêts à descendre. A notre arrivée nous avons droit aux questions habituelles « alors ça s’est bien passé ? », « y a t’il beaucoup d’eau ? », « êtes-vous fatigués… ? », « oui nous sommes un peu fatiguésmais tellement heureux, notre expédition s’est très bien passée » et déjà nous faisons des hypothèses pour le week-end d’après, atteindre la cote -1000. Mais il y a encore des sacs à descendre pour atteindre cette cote, cela ne se fait pas seul, il y avait 22 sacs étiquetés pour le matériel d’équipement pour la côte -1100.
     Une équipe composée de Max, Bédigue, Jeff, Badingue ( Michel Rosa ) et Alain de Grenoble est prête et va descendre 5 sacs à -500. Peu après une autre équipe, formée de spéléos n’ayant jamais fait de grand gouffre, va tâter le terrain, et prendre contact avec les gouffres du Vercors.
Pour ceux de la surface, la journée se passe à « buller » au soleil, à flâner, à penser aux copains qui sont au-dessous avec délectation. A 17h30 Jeff ressort avec Max, ils arrivent au camp, puis peu de temps après, un gars arrive du bord du gouffre, nous annonçant tout de go : il paraît qu’un gars vient de faire une chute de 25 mètres à la cote -250, nous ne réagissons pas, « il bluffe », on lui fait répéter plusieurs fois, on ne veut pas y croire, mais il faut se rendre à l’évidence, il y a un autre accident, le téléphone n’ayant pu être installé, par manque de fil, nous ne pouvons pas avoir de nouvelles et notre angoisse monte.
La plupart des spéléos ayant déjà pris le chemin du retour depuis pas mal de temps, ceux qui restent se concertent , une équipe est formée , Gilbert et Roland redescendent malgré leur fatigue de la nuit, accompagnés par Riquet et Gégé. Ils s’équipent, on envoie rechercher la civière, le moral est bas, l’expédition a mal commencé, si c’est grave elle est fichue, nous en sommes à ces suppositions, quand notre ami Bédigue arrive, il nous raconte, « j’étais au bas du puit Aldo (-250), Alain ( Lamotte ) montait quand arrivé au sommet du puits, il a tout lâché. J’ai vu sa lumière tomber, j’ai mis mes mains devant mes yeux, tandis que Badingue se jetait dessous pour essayer de le freiner, mais heureusement à 15 mètres du sol il s’est trouvé bloqué par la corde d’assurance, et s’en tire avec un bon état de choc. » Donc c’est moins grave, nous respirons, néanmoins l’équipe descend car il faudra le hisser, mais ouf nous avons encore eu chaud.
Enfin il est 21h30 ce dimanche quand cette équipe sort, ils ont hissé l’imprudent, tout s’est bien passé et nous reprenons le chemin de la Molière lourdement chargé. Nous reprenons la route d’Aubenas dans notre vieille Frégate, l’Escrinet nous paraît long, il est 2h30 du matin quand nous arrivons chez nous. 


La vieille Frégate Renault du club achetée 200 francs chez Bourret à Vesseaux... ( vers 1967 )


     Rude week-end !



WEEK END DU 19 JUIN 1971


     Samedi 19 juin, à 7h15 notre ami Bédigue arrive de St Maurice, nous chargeons la 4L et allons prendre Alouze ( Alain Lamotte ). C’est aujourd’hui le grand jour, le temps étant menaçant, on discute ferme sur la possibilité de descendre à -1000. La semaine a été très mauvaise, et nous pestons contre ce mois de juin trop pluvieux, en disant que nous aurions mieux fait de choisir septembre, mais nous sommes en juin et l’expédition est commencée.
A Autrans, après avoir acheté notre bouffe, et sur les conseils de notre ami Bédigue, nous allons à la poste téléphoner à la météo car c’est très gris à Autrans. La météo nous annonce averses et éclaircies, beau temps pour le dimanche. Cette nouvelle nous remonte un peu le moral et nous en profitons pour envoyer un télégramme de félicitations à notre ami Pierrot Debanne qui se marie le jour même. Nous prenons la direction de la Molière et le sentier qui conduit au gouffre Berger. Nous voici au camp de base, il est 11h, Gégène nous annonce qu’une équipe composée de Gilbert, Riquet, Popeye, Marc, Christian et Traci est partie à 10 h pour aller le plus bas possible, et que nous ne descendrons que ce soir vers 18h.
Nous avons donc le temps, et profitons pour ranger un peu nos affaires et manger un petit graillou à l’abri d’une toile car la pluie s’est mise à tomber, pas très fort. Comme il pleut nous bougeons peu, et ce mauvais temps ne nous met pas le moral, heureusement la météo est optimiste, car s’il pleut trop nous risquons d’être coincé par la rivière vers la cote -700. Le téléphone n’étant pas installé, ce que nous déplorons, nous n’aurons pas de nouvelles de l’équipe de pointe.
Au cours de la journée, les spéléos des autres groupes arrivent. Vers 18h, nous nous équipons, avec Alouze et Bédigue, faisons cuire un beefsteak pour nous donner des forces, nous en aurons bien besoin, et prenons la direction du gouffre. Notre équipe est composée comme suit : Gégène, Hubert, Alouze, Bédigue, et un spéléo d’Orléans Joe. Nous avons chacun un sac où nous avons mis des duvets et un peu de bouffe. A 21h nous arrivons à la cote -500, nous installons nos duvets sur une toile plastique, Bédigue qui est toujours prévoyant a amené des journaux qui serviront à nous isoler, il est toujours plein de bonnes idées.
J’avais mon rhovyl complétement trempé par la sueur, heureusement j’en ai emmené un de rechange et chacun rentre dans son duvet. Nous nous retrouvons dans l’obscurité totale des cavernes et le seul bruit de fond que nous entendons est celui de la rivière grondante au loin, accompagné du bruit des gouttes d’eau tombant du plafond. Chacun pense à la descente que nous allons faire dans quelques heures, l’équipe de pointe ne rencontre-t-elle pas trop d’eau ? Nous essayons de dormir, mais peu à peu le froid et l’humidité nous pénètrent et nous font grelotter. Nous sommeillerons ainsi jusque vers 3h30 du matin, où nous entendons les voix de l’équipe de pointe qui remonte. A leur arrivée leurs premières paroles sont : « c’est dément », « jamais vu autant d’eau », ils n’ont équipé que le puits Gaché à la cote -900, après il y a trop d’eau et la progression est impossible. 
Nous sommes bien dans nos duvets, et pas du tout pressés de revêtir notre combi humide, aussi quand l’équipe s’est un peu restaurée, nous nous faisons un peu tirer l’oreille pour leur laisser les duvets, « les veinards ils vont avoir des duvets trop chauds » ! Chacun s’extrait peu à peu de son sac de couchage pour enfiler la pontonnière qui nous permettra de circuler dans la rivière, de l’eau jusque sous les aisselles, sans nous mouiller et par-dessus nous enfilons la combi imperméable.
4h30 du matin nous partons, pendant que les copains rentrent dans les duvets pour récupérer quelques heures avant de remonter. Il va nous falloir près d’une heure pour nous dérouiller et nous réchauffer, en effet nos duvets étant trop légers, nous sentons trop le froid et l’humidité.
     A -640, nous attaquons le petit puits de 10 m qui redonne sur la rivière, et où nous nous étions arrêtés la semaine dernière. A l’entrée nous entendons gronder la rivière, qui poursuit son chemin pour ressortir aux cuves de Sassenage à Grenoble. Nous sommes tous un peu impressionnés à l’idée d’affronter ces eaux froides, en effet au bas de l’échelle, et pendant 450 m nous allons progresser presque continuellement dans l’eau. Gégène descend suivi par Hubert, Bédigue, Alouze et Joe.
Pendant 30 m nous progressons sur des coulées et des stalagmites puis l’eau occupant toute la galerie on descend dans la rivière, de l’eau jusqu’à la taille, l’eau fait pression et colle la ponto et la combi sur la peau, heureusement nous portons des rhovyls qui nous isolent en partie du froid.
     Peu après se trouve un chenal aux eaux profondes que l’on franchit à l’aide d’une main courante, mais aujourd’hui il y a tant d’eau qu’elle est submergée. Pour poursuivre il faut faire de l’opposition de l’eau jusqu’à la taille, pendant 3 à 4 mètres, puis saisir une échelle comme l’on peut, car ce n’est pas commode si on ne veut pas passer à l’eau, il ne reste plus qu’à grimper 4 m et poursuivre le passage en opposition.
Nous reconnaissons bien le travail de Gilbert et le remercions en passant, car sans lui et ses talents de varappe le passage était impraticable. Nous poursuivons ce passage « sup » puis redescendons par un passage délicat, au risque de tomber dans l’eau, profonde de plusieurs mètres à cet endroit, encore un peu d’opposition et l’on est dans la rivière mais avec de l’eau jusqu’aux genoux. Le passage était un peu long, Gégène est parti devant, Hubert le suit, nous nous regroupons un peu plus loin.
Ensuite c’est la progression dans une galerie souvent large seulement de 1 à 2 mètres, à la roche noire et luisante, où toute l’eau passe et où on est bien obligé nous aussi de passer. Elle est coupée de 2 petits puits dont l’un doit faire 10 mètres équipé à côté de l’eau et de marmites dont une que nous franchissons en nous tenant à un fil de fer en nous laissant flotter, de l’eau à mi-poitrine, d’autres marmites ne sont pas équipées du tout, l’eau s’y jette parfois de 1 à 2 m , tombe en bouillonnant, à cause de cela on ne voit pas la profondeur, alors c’est une progression tâtonnante en longeant la paroi, de l’eau jusqu’à la poitrine, en tenant de minuscules prises en paroi et l’on risque maintes fois de passer à l’eau.
Le bruit est « dément » avec toutes ces petites cascades, on ne s’entend presque plus parler, il faut crier pour se faire comprendre. Les 450 mètres nous paraissent longs, et chacun pense « pourvu qu’il n’y ait pas de crue », car depuis notre départ il pleut dehors, comme nous n’avons pas de nouvelles, personne n’en mène large.
Enfin un bruit énorme nous parvient, en approchant le spectacle devient fantastique, nous nous trouvons au sommet de la cascade Claudine qui se jette de 20 m de hauteur dans une grande galerie revenue aux proportions normales du gouffre Berger, 15 à 20 m de large. Pour atteindre les cordes, il faut s’assurer sur un bout de ficelle et marcher sur un tube d’acier de 1m50 en s’appuyant contre la paroi, le tube n’est attaché que d’un côté et dessous il y a 20 m de vide et la cascade qui tombe en grondant. On peut s’imaginer facilement nos impressions ! Tout se passe bien, mon descendeur est installé et il ne reste plus qu’à descendre. En bas luit la petite lampe de Gégène qui s’est mis à l’abri.
     Avec la chute, vers le bas la cascade n’est pas loin d’avoir 2 m de large et chacun est copieusement arrosé par les embruns. Nous sommes à la cote -720, la galerie devient spacieuse, nous progressons maintenant dans les blocs éboulés du plafond. Nous nous éloignons de la rivière car son bruit nous parvient au lointain. Nous descendons par petits paliers à la cote -800, nous trouvons un tas de sacs que nous allons devoir remonter, il y en a 1 chacun. Peu après s’annonce une pente abrupte alors que la galerie devient immense, tout est noir, nous suivons la paroi de droite et entamons cette descente qui se fera sur presque 100m de dénivelé, nous sommes dans le Grand Canyon. Au bas nous retrouvons la rivière et dans un coin de la salle se trouvent les restes de camp souterrain d’expéditions déjà lointaines.
Peu après se trouve le puits Gaché, profond de 20m, toute l’eau s’y engouffre, la progression redevient démente, pas pour longtemps car au bas se trouvent des marmites pleines d’eau, le niveau étant beaucoup trop haut l’expédition a atteint son point le plus bas : -900.
     Nous déséquipons le puits, les échelles sont pliées ainsi que les cordes, et profitons de l’arrêt pour manger un morceau. Nous faisons vite, car nous avons toujours la hantise de la crue, Gégène prend un sac avec Alouze et nous attaquons la remontée du Grand Canyon. La roche est glissante et la pente est telle que nous sommes souvent à quatre pattes.
En levant la tête on voit toujours les lampes des copains qui précèdent au-devant, ils montent toujours « "qu’est-ce que ça grimpe », personne ne dit mot, et chacun suit son rythme. En haut, nous récupérons 5 gros sacs, plus le matériel du bas, bref ! Nous nous les répartissons, ils font bien 15 kg chacun. Heureusement c’est presque plat jusqu’à la Claudine qui n’est pas loin, on entend le mugissement de l’eau. Je pars le premier. Arrivé au bas de la cascade, j’attache mon sac au bas de la corde, place mon autobloqueur et attaque la remontée.
Dès le départ, il faut faire vite à cause des embruns et ne pas se déporter sur la gauche sinon c’est la douche totale. Arrivé au sommet il ne reste plus qu’à s’assurer à la main courante et à hisser son sac. Les autres arrivent, Joe attaque, mais au départ par un faux mouvement il part à gauche et va sous la cascade, quelle douche !
A nous deux nous allons hisser tous les sacs qu’il faudra suspendre car la réception se fait dans un gour plein d’eau. Puis chacun grimpe à son tour et prend au passage son sac. Le retour dans cette galerie démente sera plus délicat, car avec un ou deux sacs sur le dos le poids est un handicap car les bras travaillent beaucoup en opposition et le manque de sommeil se fait aussi sentir, mais nous sommes trop pressés de sortir de la rivière pour y penser.
     Nous arrivons au puits de 10 m nous ne sommes plus guère éloignés du vestiaire, le passage équipé par Gilbert est proche, Gégé et Joe sont partis devant, j’attends Alouze et Bédigue qui ferment la marche. Au passage délicat qui domine le chenal, j’entends un plouf, suivi de gros mots, et ça gueule, bien sûr c’est notre ami Alouse qui a lâché son sac qui est tombé dans l’eau, il flotte heureusement et le courant l’entraîne dans un gour. Ayant franchi le passage, je vois Bédigue et Alouze qui sont au-dessus de l’échelle, Alouze a un coup de pompe et Bédigue est lui aussi fatigué, Alouze veut laisser son sac, mais après un petit sermon d’Hubert il repart courageusement le récupérer.
Au bout d’un moment, comme il tarde un peu, je sors de la rivière et vais trouver un point sec au bas du puit à -640. Gégé et Joe attendent, je leur dis de monter, j’attendrai les deux derniers. Il se passera bien une heure après le retour de Bédigue et Alouze, ce dernier prend des crampes à la cuisse, je monte, hisse les sacs, et nous reprenons la progression ensemble. Nous sommes plus détendus, il n’y a plus de risque maintenant et le plus dur est fait.
Nous reprenons lentement notre montée, et arrivons au camp à – 500 où nous attendaient Joe et Gégé. On reprend quelques forces en cassant la graine, quelques raisins et bananes sèches, un peu de lait, Alouse dit « Ça va mieux », « quand j’ai le ventre creux ça va plus », Bédigue aussi a repris. Nous laissons nos lourds sacs à -500, nous finirons la semaine prochaine de déséquiper. Il ne faut pas s’arrêter trop longtemps car le froid nous pénètre et après pour repartir c’est encore plus dur. Nous attaquons la remontée du grand chaos, vers le haut, les muscles des jambes font mal, heureusement que c’est relativement plat, Hubert commence à prendre des crampes aux deux jambes en approchant du lac Cadoux.  Alouze a repris, Bédigue aussi, heureusement car il faut passer le lac l’un après l’autre, aussi récupèrent-ils entre temps. 
Cette semaine nous avons un bon canot, heureusement car une chute dans l’eau n’aurait rien arrangé. Nous arrivons à la fin de la grande galerie, au bas des puits, nous voyons que le niveau d’eau a baissé, dehors il doit faire beau. Gérard attaque le premier le puits Aldo, Alouze le suit, il ne fera que 5 arrêts pour un puits de 45 m, « il a la frite ! ».
La cascade tout en haut coule peu, Hubert le suit, trois arrêts et il arrive au sommet, nous sommes surpris de voir qu’il y a deux sacs, légers puisqu’ils renferment des duvets, que l’équipe qui nous précédait devait remonter, nous apprendrons par la suite que c’est encore un coup de Monsieur « Traci » ( Michel Chabaud ) : quand il a un sac ça ne va plus, même s’il y a des plumes dedans ! Gégé a continué, Alouze et Hubert progressent pendant que Bédigue monte et attendra Joe.
Bédigue a la frite, il ne s’arrêtera qu’une fois et encore dira-t-il sans forfanterie, « c’était pour me ménager, sinon je ne m’arrêterais pas », aux autres puits, les arrêts seront nombreux, enfin arrive le dernier puits. Il ne fait que 30 m de verticale, mais dans le Vercors, avec la fatigue de l’expédition, il représente un bon 70 m de chez nous.
     A la sortie, il est 18h30, nous avons la joie de voir un magnifique ciel bleu avec le soleil, voila 24h que nous sommes sous terre et nous apprécions. Encore un ¼ d’heure de marche et nous arrivons au camp où nous pourrons encore faire sécher nos affaires, car le soleil ne se couche pas avant 20h. Il faudra ensuite reprendre le chemin de la Molière, une heure de marche, nos 2 sacs sur le dos, les jambes souffrent encore. Il faudra faire encore les 180 km qui nous séparent d’Aubenas, arrivé à minuit et demi, Hubert apprend qu’il doit passer un examen à Montpellier, « sans commentaire sur le résultat... »

DERNIER WEEK-END

     L’expédition est sur le point de finir, mais après la joie de l’exploration, il y a le travail ingrat du déséquipement. C’est ce que nous allons faire ces deux jours. Nous partons à 6h30 du matin, il y a Roland, Jean-Paul et Hubert. A 10 H nous arrivons au camp de base où une équipe s’apprête à aller déséquiper le gouffre jusqu’à la Claudine – 700. Le temps est orageux, lourd il a fortement plu la veille. L’équipe qui descend est formée de Riquet, Dédé, Badingue et Michel.
A midi, Hubert, Roland et Jean-Paul sont prêts et partent pour le gouffre. Jean-Paul ne connait pas le gouffre et nous allons l’emmener jusqu’à -640 au début de la rivière. Nous arrivons à -500 à 14h où l’équipe qui doit aller jusqu’à la Claudine n’est pas encore partie, ils sont entrain de grailler sans s’en faire, pourtant avec ce temps menaçant et le niveau d’eau toujours aussi haut, il faudrait qu’ils se dépêchent, c’est ce que nous leur conseillons. Ils  s’en vont finalement mais pas trop pressés. Comme il ne reste plus de pontonnières disponibles, Roland ne pourra pas descendre dans la rivière, nous allons quand même la voir à la cote -640, le débit est un peu plus fort que la semaine dernière, ceux qui sont dedans doivent s’amuser. Nous apprendrons à leur sortie qu’ils avaient 2 pontonnières percées, et qu'ils se sont fait tremper !
Nous regagnons le camp a -500 où nous rencontrons une équipe menée par Gilbert, qui comprend un groupe de spéléos qui font connaissance avec le gouffre, Il y a Michel Pagès, Jean-Pierre et 3 autres spéléos, ils vont jusqu’à -640. Roland, Hubert et Jean-Paul prennent 2 sacs chacun et entament la remontée du Grand Chaos, les sacs étant trop lourds nous en laissons 3 à la tyrolienne bien en vue. Avec qu'un sac sur le dos, la montée est plus facile et nous arrivons rapidement au bas des puits. Le puit Aldo est remonté avec un seul arrêt à la vire où nous hissons ensuite les sacs, et récupérons les 2 sacs de duvet laissés par cet affreux Traci la semaine dernière, heureusement ils sont légers. Au puits suivant c’est la frite, nous montons sans nous arrêter, ça marche bien, le méandre est là, avec deux sacs certains passages sont délicats, surtout que la roche glisse et que nous n’avons pas trop confiance en certains madriers coincés depuis longtemps.
     Au pied du puits du Cairn, au ressaut de 6 m où Jean-François a fait sa chute, il nous semble que la cascade qui l’arrose grossit à vue d’œil, le bruit s’amplifie, on regarde mieux, en effet, l’eau monte, dehors il doit pleuvoir fort, c’est la crue, nous espérons que l’équipe du fond est sortie de la rivière et rien que pour monter ces 6 m nous sommes mouillés.
     Nous sortons à 21h30, il pleut, mais ça à l’air de s’arrêter. Nous apprendrons à leur sortie que l’équipe de Gilbert aura pris la crue au puits Aldo, ils seront copieusement arrosés par une cascade de 30 m. Gilbert sortira à 2 h du matin littéralement crevé d’avoir assuré son groupe d’un petit niveau. L’équipe qui aura déséquipé jusqu’à la Claudine sortira, elle, à 5h du matin. Gilbert a bien remonté 2 sacs, mais il en reste encore à -500 et ceux de la tyrolienne ont été oublié.
Le lendemain il faut qu’une nouvelle équipe descende. A 10 h, Max, Gégé et un spéléo de Joyeuse descendent à -500, il y aurait 7 sacs à remonter, plus les 3 sacs oubliés à la Tyrolienne. Jeff et Pierre de Privas sont obligés de descendre, mais il y a un point à souligner, c’est que monsieur Traci ( Michel Chabaud ) est arrivé, mais en touriste, il a déjà fait le trou alors pour lui c’est fini, le matériel « connait pas » ! Il faut le forcer à descendre, quelle honte ! Jeff raconte qu'il a dû le forcer à descendre l’Aldo en lui promettant de l’assurer à la remontée, c’est le comble !
     L’eau a beaucoup baissé et les puits ne sont presque plus arrosés, mais vu le nombre de sacs, Roland et Hubert se rééquipent et redescendent avec Bédigue et Christian Durieux des Vans, le vrai chef spéléo de ce groupe des Vans qui n’a pas peur de participer et de donner l’exemple.
     Il est 13h, en haut du puits Gontard nous entendons les autres qui remontent, nous les attendons au sommet pour les aider. Nous hissons les nombreux sacs, une équipe de Privas, la Voulte et le Cheylard vient d’arriver, ils vont bien aider à la remontée, ça nous arrange bien. Après il faut déséquiper les puits, plier le matériel, ça va lentement mais ça monte. Au bas du puits du Cairn nous remontons un méandre affluent sur au moins 200m. Sortie à 19h30, c’est la grande forme, il faut aller au camp manger un graillou puis prendre du matériel et le ramener à la Molière, encore une fois une heure de marche avec 3 sacs.

     A Autrans nous irons boire le verre de l’amitié, l’expédition s’est dans l’ensemble bien passée, et nous pouvons être fiers de nous. Nous arriverons à minuit et demi à Aubenas.
Nous avons fait le gouffre Berger : cette expédition qui aura regroupé pour 3 week-ends la plupart des clubs de l’Ardèche, aura resserré les liens d’amitié qui existait entre eux, et aura fait connaître à beaucoup la spéléo du Vercors qui est autrement plus sportive que celle que nous pouvons pratiquer en Ardèche.
Participer à une telle expédition demande non seulement d’aider à équiper, visiter, mais aussi de participer au travail ingrat qui est le déséquipement et le portage, et je crois qu’un vrai spéléo doit trouver un certain plaisir à remonter des sacs, en baver, il pourra dire j’ai participé à toute l’expédition.

                                                                                    Hubert Oddes

Clubs participants :

Groupe Spéléo la Voulte, les Vans, Privas, Aubenas-Vallon, St Marcel et le Cheylard.

Le S.C.A.V en 1967 au départ pour un camp souterrain de 4 jours dans les nouveaux réseaux d'Orgnac. Combis coton, chaussures en cuir, lampes Arras et sacs à patates pour le matos... 
 Alain Lamotte "Alouze", Hubert Oddes, Michel Etienne "Jeff" , Jacques Felenc, 2 spéléos du camp des Gorges, Pierrot Debanne et Roland Oddes.




L'affiche pour annoncer la projection de notre montage à Aubenas et de nombreuses autres fois (  maisons familiales, salles des fêtes ...  )


Topographie extraite de Spéléo n°29.



Gouffre Berger 1973


EXPEDITION AU BERGER 22 Juillet et 29 Juillet 1973

     Le samedi 22 juillet nous partons à 20h30 d’Aubenas en 4L, il y a Hubert, Roland et Jacquot Teyssier, la voiture est bien remplie de matériel et le ciel est chargé d’électricité, en effet un orage assez dément se prépare, le ciel est strié d’éclairs et vers l’Escrinet et les averses commencent.
Tout le long de la route nous aurons l’orage et à la Molière à 23 h nous nous arrêtons toujours sous l’orage. La tente est plantée à la lueur des phares en un temps record et nous plongeons dans nos duvets pour un sommeil réparateur. Levés à 7h30, le temps s’arrange un peu, nous plions le matériel et gagnons le camp de base à la cabane d’Engin.
     Là, sont tous les grenoblois ainsi que Popeye ( Jean-louis Bayle ) qui nous raconte leur sortie en catastrophe cette nuit du gouffre. En effet à -900, point le plus bas équipé, l’équipe a été surprise par l’orage violent qui s’abattait sur le plateau, la remontée s’est effectuée en varappe au-dessus de la rivière en crue dont le débit a dû atteindre les 5m³. Plusieurs fois ils sont passés sous l’eau et le courant était tel qu’il devaient s’encorder. Bref, ils ont réussi à sortir et c’est le principal.
     Avec Jacquot, nous nous préparons, mangeons un bon beefsteak, prenons un sac de matériel et nous dirigeons vers le gouffre. La descente s’effectue rapidement, à l’Aldo -200 il y a un peu d’eau, mais dans la rivière la décrue s’est effectuée, seul des traces de mousse à 2 m au-dessus du niveau normal attestent de la violence des eaux lors de cette crue.
A -400 nous sommes proches du Grand Chaos, à -500 nous voici au camp, nous laissons notre graillou et amenons les sacs de pontonnières à -650. Au vestiaire à -640, Roland et Jacquot prennent la ponto, mais à 20m un rideau d’eau tombant du plafond les arrête. Retour à -500, graillou et remontée. Roland n’a pas la grande forme et traine la patte, Jacquot va bien.
Nous sortons vers 20h, il fait juste jour mais le ciel est beau. Au camp : plus personne car les grenoblois reprennent le boulot le lendemain. Lundi : bulle... puis un Grenoblois nous mène voir l’entrée du P2 (-280) du Jean Noir et du P125. Puis retour vers 16h30 à la Molière, très beau soleil. A 20h arrivée à Aubenas.


DEUXIEME SORTIE : WEEK END du 29 juillet 1973

    Départ de 2 voitures d’Aubenas, dans la 4L : Hubert et Roland, dans la 204 : Popeye, Badingue et Olivier. La 204 restera à Grenoble tandis que nous nous dirigerons vers la Molière. Arrivée à minuit nous plantons la tente sous le brouillard très froid. A 6h du matin les jeunes d’Aubenas sont amenés par leur parents, Michel Roux, André Bonhomme et Bernard Mathon, ils attendent qu’on se réveille à 8 h, le soleil luit, nous préparons nos affaires, Popeye arrive, les sacs sont prêts.
Nous partons pour le camp de base situé à 15 minutes du gouffre. Nous sommes lourdement chargés, il faut ¾ d’heure pour y arriver. Au camp nous trouvons beaucoup de monde, beaucoup de tentes, l’animation règne. Nous disons bonjour aux copains et déballons un peu nos affaires. Après un bon repas et avoir préparé une gourde de potion magique, à base de protéines en poudre pour descendre au fond, nous préparons les sacs, car il fait trop chaud pour s’habiller au camp et prenons la direction du gouffre.
A 15h, la descente a commencé, Popeye, Olivier, Badingue, puis Roland et Hubert, ensuite Riquet et un Grenoblois. La descente des puits s’effectuera au descendeur, dans les méandres nous prenons un rythme lent pour ne pas transpirer, ce qui occasionne lors de la fatigue, des crampes par fuite d’ions, et sommes à -250 en une heure où nous trouvons la rivière assez grosse.
Il a encore plu la semaine et vu le débit je suis sceptique sur la possibilité d’aller au fond. Dès le départ de la Grande Galerie nous utilisons le canot, à 3 dessus en pagayant avec les mains gantées de caoutchouc pour ne pas trop sentir l’eau à 4°. Nous sommes pratiquement tous regroupés à -400 sauf Riquet et son collègue. A -500 nous avons chacun un sac, nous laissons de la bouffe et attaquons les gours qui débordent tous et au puits du Balcon à -600 nous passons à l’extrême droite car l’eau coule sur toute la largeur. Je m’aperçois que j’ai laissé mon descendeur à -500, je suis obligé de remonter, et croise Riquet qui arrive.
A -640 au Vestiaire, nous enlevons notre barda, baudrier, combi, bottes et prenons nos pontonnières en plus ou moins bon état, nous reprenons le barda par-dessus et attaquons la Rivière sans étoile. Popeye, Olivier et Badingue partent en premier. Nous les retrouverons seulement à -800, suit Hubert, Roland et Riquet. La rivière est assez forte, néanmoins les mains courantes sont praticables. Quelques ressauts ne sont pas équipés et il faut faire un peu de gymnastique pour passer sur l’eau écumante, avec un sac c’est parfois assez délicat.
Le bruit dans cette galerie est dément, le débit doit être de 200l / s au moins, et la galerie n’est pas large, 1 à 2 m. La roche est noire, luisante, l’ambiance est bonne, la frite y est. A -700 c’est la Claudine qui se jette de 17 m dans un grand gour, passage sur le mât, descendeur, arrivée, on part vite car les embruns ne font pas de cadeaux. Chaos, galeries, nous sommes au sommet du Grand Canyon, nous apercevons nos 3 amis 100 m plus bas, petites lumières dans cette immensité noire, la descente s’effectue sur la droite, au bord de la paroi, la pente est raide et glissante.
A -880 sommet du puits Gaché, l’équipement s’arrête là. Riquet et son ami arrivent, les échelles sont préparées, la petite vire est équipée en main courante par Popeye, la descente continue, 20m plus bas on atterri sur une plateforme éclaboussée par la cascade, ressaut de 3m, ensuite ressaut du Singe, qu’il faut équiper à droite de façon un peu acrobatique, on descend pour atterrir dans un gour profond.
Popeye se mouillera un peu. Après les autres tendront la corde, ça passera, ensuite c’est la Grande Cascade, équipée en 2 fois, haute de 27m, l’eau l’arrose copieusement et furieusement, au bas toujours un gour profond, suit une galerie qui va s’abaissant, puis passage où il faut se mettre à plat ventre sur les galets, virage à gauche, encore un peu de « ramping », les parois sont couvertes de mousse, il ne faudra pas être là lors d’une crue. Et nous arrivons à coté d’un siphon où la rivière ressort, ensuite c’est la « Vire-tu-oses », que Popeye va encore équiper, « quelle pêche il a » !
Il lui faudra quand même une heure pour équiper car elle est assez technique. Les mains courantes sont posées, mais le passage est quand même assez délicat, il faut avoir une double longe pour passer les points d’amarrage. L’eau se jette avec fracas dans un puits noir de 20 m, le bruit est tel qu’on ne sait pas bien si le copain est arrivé, il faut crier fort, on se longe, descendeur, vers le bas ça éclabousse dur, où est le passage ? l’eau forme une grille « mais pourtant la corde y passe au travers , ce doit être là le passage », on passe vite, tout s’éteint, ça mouille, on descend dans le noir, tout se calme, « ouf ! passés »!.
     Les copains sont à la réception « que d’eau les enfants », arrivée délicate, Roland, Riquet et Popeye sont passés à l’eau, heureusement ils ont des pontonnières.
Suit un toboggan de 20 m, donnant directement sur le puit de l’Ouragan de 47m ! Le départ a 2m50 de large et l’eau l’occupe sur toute la largeur, sur une hauteur de 15 à 20 cm d’eau. Le débit est énorme, intérieurement je râle d’être arrêté si près du fond, car on nous a assez dit, s’il y a un peu d’eau c’est infaisable, je fomente des projets pour voir quand est ce que je pourrai redescendre faire le pont, l’année prochaine, l’année d’après, c’est quand même râlant d’être arrêté à -980.
Nous allons au-dessus du puits par la vire qui le surplombe à gauche, nous sommes tous là,« il y a de l’eau les gars » « c’est impossible », « moi je ne descends pas », « moi non plus », « c’est bon pour ne pas remonter ». Puis Popeye sort les échelles, le puits est équipé, « je vais voir », il descend, cela dure un certain temps, puis on entend gueuler, Badingue va voir puis Riquet, ensuite les autres suivent, au bas j’aperçois les petites lampes dans une grande galerie toute noire, c’est vraiment impressionnant, surtout avec le bruit de la cascade de 50m
Je me longe, place le descendeur, et attaque, pas trop vite, ça va bien, ça mouille pas, « aie, parlé trop vite », quelques embruns arrivent, j’accélère, de plus en plus d’eau et quel vent à l’arrivée, cette eau provoque un sacré déplacement d’air, vite on se défait pour se mettre à l’abri des embruns. « Arrivé » !
La galerie est vaste et chaotique, on va descendre de 80m à 100m sur des blocs, nous voyons à -1075m l’arrivée de l’affluent, le débit est vraiment gros, c’est impressionnant dans cette galerie noire de 30m de large, luisante, on descend encore un peu, la galerie ne fait que 4m de large, le courant est très fort, nous sommes à -1105 m, on ne peut aller guère plus loin. Le siphon est proche, nous sommes heureux, je ne croyais pas aller au fond cette fois, le Berger est vraiment un grand trou c’est formidable, mais vraiment le plus dément est de -900 à -1100, il semble qu’avant ce ne soit rien.
Arrêtons de soliloquer, il faut remonter, nous sommes rapidement au bas de l’Ouragan, Roland monte en premier, il met pas mal de temps, en descendant on ne se rend pas compte de la profondeur, mais pour remonter cela va moins vite, je le suis, Badingue me tire la corde car je n’ai pas de cagoule fixe sur ma combi, et cela m’évite d’être trop mouillé, on sent l’eau sur environ 25m, après c’est plus humain.
Arrivés au sommet, nous commençons par remonter pour ne pas faire poireauter au bas des puits, « ça ne pinaille pas » et nous ne perdons pas de temps, « arrivé », on place le frein et on attaque. Au sommet de la grande cascade nous attendons, panne d’éclairage acéto, vite réparée, re-départ, nous voici au Gaché on est à -980. Il est vrai que ce qui nous attend est moins dément que ces passages, les puits ne sont plus arrosés. A -890 nous faisons tous une pause et cassons une graine, « Badingue nous raconte comment il a failli se noyer, il était attaché à une corde par son frein, qui l’a tiré en arrière, il est tombé dans un gour à -970, a disparu sous l’eau, il était coincé par la corde, Riquet qui arrivait l’a aidé à sortir, mais il s’est trempé, heureusement c’est Badingue ! » 
     Nous débourrons les lampes, et attaquons la remontée du Grand Canyon, lentement car la fatigue se fait sentir, que les autres sont petits, ils n’ont pas encore démarré qu’on est presque en haut. -720 au bas de la Claudine, on ré-attaque la rivière, chacun a un trou plus ou moins gros dans sa ponto, sauf Riquet et nous sortons de la rivière de l’eau plein les bottes. -640 on quitte la pontonnière, on est sorti des passages déments, on plie les pontonnières pour les remonter, chacun remontera la sienne dans un petit sac.
A -500 gros graillou, Popeye nous réserve une surprise, il nous prépare quelque chose, nous dit de nous approcher, il jette une allumette dans un récipient, aussitôt une grande flamme jaillit, nous l’entourons aussitôt il s’agit d’un bidon d’essence qu’il a dégoté dans un coin, la flamme dure 10 minutes, nous ouvrons les "Rexotherms" trempées, les "Rovyls" fument, un petit moment le devant, un petit moment le dos, quel bien cela fait, puis la flamme décroit, « brrrr ! » le froid s’insinue, il était là à nous guetter, « Popeye encore ! », seconde flambée, puis une dernière, il n’y a plus d’essence, il faut repartir, auparavant nous avons fait chauffer un bon thé et un bon chocolat, la forme va, on se fringue et on attaque. Il faut une heure pour arriver à -250, les puits sont attaqués « mollo », nombreux arrêts pour se ménager, toujours par équipe de deux, les jambes tirent un peu mais ça va, voici le puits Ruiz 30 m de verticale, la sortie est là, il est 8h du matin. 
     Temps passé sous terre 17h, le soleil brille, nous sommes heureux, depuis le temps que nous essayons d’aller au fond ça a été juste, mais le piment n’en a été que meilleur. A la Molière nous dormons 2 h, puis il faut se préparer, 16h les sacs sont chargés, a 17h départ de la Molière, Popeye et Badingue suivent jusqu’à Privas, nous avons quand même un peu sommeil.
     Nos jeunes spéléos du groupe d’Aubenas sont allés faire le réseau de la Boue et n’étaient pas encore dehors lorsque nous sommes partis.

                                                                                    Hubert Oddes


Sortie des anciens, décembre 2019 à l'aven du Devès à St Laurent sous Coiron.
Pierrot Debanne, Hubert Oddes, Jacques Duny , Gilbert Platier,  Alain Lamotte "Alouze"et Roland Oddes.